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- Des news du mec ?

- Non, toujours rien.

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CHAPITRE 2 - LES LUMIÈRES DE RAQQA

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Je n’étais pas entré pour goûter, je voulais juste sentir. Le seuil de l’échoppe ne me déçut pas, je fus assailli par un mélange capiteux et poivré qui me fit presque éternuer. Je m’attendai en revanche à une diversité plus forte, les monticules étaient surtout rouge, pul biber par-ci, dövme biber par-là, ipek biber… Différents mélanges à base de piments rouges écrasés et séchés. On trouvait aussi cumin, sumac, safran, menthe, zahter, poivre noir, piment isot, pistache térébinthe… Les épices remplissaient des grands pots en cuivre couverts de tissus ; à leur sommet, une pancarte de plastique blanc pour lire l’identité du tas ocre, vert, noir, marron, vermillon, écarlate, pourpre. De grands bacs rectangulaires contenaient des fruits et légumes séchés, en particulier des tomates et des abricots, ainsi que pistaches, noix, amandes achetables au poids ; des huiles d’olive, des pots de Nutella, du miel, garnissaient les étagères ; des plafonds pendaient des grappes de champignons. Le vendeur insista pour me faire goûter un baklava, il fit bien, la farce de pistache était délicieuse et rafraichit ma bouche asséchée par la cigarette ; j’en achetai une boite de six.

 

Je ressortis de la şarküteri, l’épicerie fine ; une dizaine d’autres échoppes s’alignaient de façon identique sur le boulevard, creusées sous la pierre du parvis et de la mosquée, auxquels on accédait depuis le trottoir par des escaliers de pierre. On trouvait entre autres un vendeur d’objets artisanaux pour touristes : porcelaines, objets en cuivre (services à thé, cafetières turques, plats à l’effigie du Nom d’Allah ou d’Atatürk…), coffres à bijoux en bois

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sertis de perles blanches ; un coiffeur pour hommes, avec des portraits de jeunes Turcs aux cheveux courts placardés contre les portes en bois dépliées de part et d’autre de l’entrée ; un café, dont le congélateur à glaces et le frigo à boissons disposés sur la rue entravaient à moitié l’entrée ; deux hommes moustachus, la quarantaine et la cinquantaine, assis sur deux chaises contre le mur, entre les entrées voûtées de deux boutiques, qui discutaient vivement.

 

J’avais repéré la mosquée de loin, les rayures noires et blanches qui se répétaient à différents endroits de la pierre, sur les pilastres aux angles, sur le contour du fronton sur les minarets, m’avaient intriguées. Je montai les escaliers, il n’y avait personne ; je sortis une nouvelle cigarette et me plaçai dos à la rambarde blanche d’où nous surplombions la rue. J’avais légèrement réduit ma consommation ces derniers mois, mais les besoins de discrétion du voyage nous permettaient à tous de reprendre un rythme normal. Seul Mohammed n’était pas un fumeur. Nous avions tous repris avec d’autant moins de retenue que là-bas, ce serait totalement interdit, et que nous n’aurions pas le choix. Et que l’objet de notre traversée compensait ces petits écarts.


Ceux qui ont cru, qui ont émigré et qui ont lutté par leurs biens et leurs personnes dans le sentier d'Allah, ont les plus hauts rangs auprès d'Allah... et ce sont eux les victorieux.

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D’où je me trouvais, je ne voyais plus la coupole grise, et à peine les deux minarets qui s’élevaient à ses côtés ; l’immense façade de pierre, les fenêtres en ogive, le fronton surbaissé, m’écrasaient. Étrange. La mosquée était en forme de croix.

 

Nous n’étions pas nombreux à l’intérieur. Deux touristes allemands ou anglais regardaient les arcs des voûtes en pierre, qu’ils comparaient aux descriptions de leur guide ouvert. Un Turc de quarante ans était assis sur une chaise en plastique, perdu dans ses pensées et le chapelet qui roulait entre ses doigts. Deux jeunes hommes discutaient près du lustre qui descendait du sommet de la coupole, à trente mètres, jusqu’à tutoyer nos têtes. La mosquée était intéressante, presque grandiose. L’intérieur était simple, une pièce unique amplifiant la sensation d’être minuscule, happé par les hautes voûtes de pierre. Un détail me choqua : contre l’un des murs, un immense drapeau turc était suspendu à la verticale. Ce drapeau omniprésent ici, au-dessus des boulevards, dans les gares, sur les murs, aux sommets des monuments, devant chaque administration, mais je n’aurais pas imaginé qu’il pénètre ce lieu qui nous appartenait à tous.

 

Je me baladais en touriste mais ne pus m’empêcher de faire quelques invocations. C’était la première fois que j’entrais dans une mosquée en dar al-islam*. L’ancienneté des murs accroissait la spiritualité des lieux, par rapport

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aux édifices modernes que j’avais connu en France. C’était ici qu’il fallait être, j’allais aux sources de mon cœur. Pourtant, je ne ressentais pas non plus d’appel, quelques détails m’empêchaient de savourer l’instant : le drapeau, les touristes, ma discrétion forcée. J’étais déçu de ne pas ressentir l’émotion que j’avais eue pendant l’adhan*, la veille.

 

Je fis de nouveau le tour de l’église. Je n’avais pas envie de partir, je me disais que ça allait venir, j’allais ressentir quelque chose. Je sentis que les deux jeunes me regardaient alors que je passai à leur niveau, les deux Turcs. Je tournai ma tête vers eux, ils étaient à une dizaine de mètres, je les fixai. L’un d’eux se pencha vers l’oreille de l’autre, ils étaient goguenards, je me demandai ce qu’ils se disaient. Ca m’énervait. J’hésitai à aller les voir. Non, je n’irai pas, je ne suis pas chez moi, ce serait stupide de faire le malin maintenant.

 

Le soleil à l’extérieur n’avait pas faibli et éblouissait la mosquée. Les zébrures blanches et noires qui se répétaient à l’envi sur la robe des murs lui donnaient une élégance raffinée.


Que faire ? Je n’avais aucune envie de retourner à l’hôtel, l’ambiance y devenait toxique. Je pouvais encore me promener dans la ville, il restait quelques heures avant le soir. Pourquoi pas le Sanko Park ? Un grand centre commercial moderne, qui pourrait compléter mon sac des affaires que je n’avais osé emporter, par crainte d’éveiller

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les soupçons dans les aéroports : une lampe de poche, un chargeur solaire, un coupe-vent, des chaussures de randonnée, des couteaux.

 

Je descendis les marches vers le boulevard, et me mis en route.


Ils n’avaient pas montré l’instant. Était-ce parce qu’il s’était débattu comme un fou ? Qu’il avait craché des insultes ? Ou bien était-ce par respect pour la famille ? Les images lumineuses, la définition si nette, les couleurs aveuglantes, l’orange sur le désert, la pâleur de visage sur le bleu du ciel, le noir de la capuche et du manche, puis le rouge tout autour du corps allongé et la pâleur posée sur le dos du condamné. C’était presque gênant de ne pas avoir vu la scène, comme s’ils avaient voulu cacher quelque chose, et l’on n’était contrait d’imaginer, entre ces deux moments, le point de départ, la lame argentée et dentée posée sur la fragilité du cou, jusqu’au point d’arrivée, la tête et le sang. Je me demandais ce que penseraient les habitants tranquilles que je croisais, s’ils savaient ce que j’étais venu faire ici. Seraient-ils surpris, effrayés, m’encourageraient-ils, me cracheraient-ils dessus avec horreur ? Ils s’en foutraient, peut-être. La vidéo du journaliste américain avait fait le tour du monde, ils en avaient sûrement entendu parler. Peut-être le savaient-ils déjà, peut-être croisaient-ils tous les jours des Européens feignant de faire du tourisme.

      -  Brother !

 

Hâte d’être de l’autre côté. Hâte d’être là-bas, de rejoindre les frères du monde entier. J’avais vraiment fait la fiotte hier. Hâte qu’on reçoive nos armes. J’espérais que nous aurions Internet assez rapidement pour pouvoir annoncer la nouvelle à tout le monde, via photo et kalach. J’aurais certes souhaité prolonger le plus longtemps possible le mensonge que j’avais construit pour ma famille, les protéger de l’inquiétude. Mais poster sur les réseaux notre présence ici était trop satisfaisant. Que tout le monde le voie, ceux et celles qui me connaissaient et qui ne me connaissaient plus, qu’ils voient ce que nous faisions pendant qu’ils restaient à vivre leurs vies, qu’ils voient ce que nous avions décidé, de quelle façon nous avions assumé nos destins.

 

Des pas derrière moi s’accélérèrent, une main sur mon épaule. D’un réflexe brusque, je me retournai et saisit les ongles sales et le poignet d’un homme d’âge mûr, qui recula, et me sourit avec un rictus.

 

      -  Easy, brother, dit-il avec un accent aigü. How are you ?

 

Quarante ou cinquante ans, trapu, visage rond et chauve, barbe grise de quelques jours, un gilet noir sur une chemise blanche retroussée aux avant-bras. Autour de nous, le boulevard, la chaussée et le trottoir étaient très fréquentés. On

*Dawla, qui signifie "Etat" en arabe, est l'appellation utilisée par les membres de l'Etat islamique et ses partisans pour qualifier l'organisation (ad-Dawlah al-Islāmiyah fī 'l-ʿIrāq wa-sh-Shām, l'Etat islamique en Irak et au Levant)  + d'infos

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nous dépassait en nous regardant discuter, les voitures filaient à ma droite, le bitume chauffait.

 

      -  Qu’est-ce que tu fais à Antep, mon frère ? continua-t-il, toujours en anglais. Tu viens d’où ?

      -  Pourquoi tu veux savoir ?

      -  J’aide les gens qui arrivent ici.

      -  OK.

      -   Il y a beaucoup de gens qui arrivent en ce moment. Des Anglais, des Allemands, des Russes… Des Français. Je peux les faire voyager.

 

Il conclut par un clin d’œil. Je ne dis mot ; il venait de déclencher un premier signal d’alerte. Je restai impassible.

 

      -   Tu es venu tout seul ? Je peux vous faire un prix si vous voulez passer la frontière. Cent dollars chacun. Très bon prix !

      -   Qu’est-ce qui te fait penser que je veux aller en Syrie ? lui demandai-je, intrigué jusqu’à l’imprudence.

      -   Everybody wants to jihâd, répondit-il en souriant, paumes ouvertes.

      -   Je dois y aller, dis-je.

Je me retournai sans regarder en arrière. Une camionnette approchait, je l’arrêtai avec la main et traversai sous les klaxons. Je ne pouvais pas courir. Mais je devais me dépêcher.

 

Je fis mine de m’éloigner vers l’ouest, puis revins sur mes pas après un large détour. Direction l’hôtel. En quelques instants, la ville se métamorphosa. Entre deux immeubles bruyants du boulevard, une rue anodine et pentue m’emporta en cent pas vers une cité nouvelle, juchée sur une colline. Le capharnaüm des rues s’éteignit sous des pavés carrés recouvrant chaussée et trottoir, le béton se mua en pierre et les passants pressés en promeneurs sensibles. Notre hôtel était posté de l’autre côté de cette citadelle historique. Le soleil avait perdu la teinte plombée qui se reflétait sur les pneus et immeubles de la ville, les pavés de pierre s’illuminaient avec douceur sous les feuilles des pins. A mesure que je m’enfonçais dans ce village de pierre, les rues devenaient plus étroites et plus sombres, les maisons plus basses et plus anciennes ; propres et en excellent état.


Je me postai à un angle et glissai ma tête en-dehors, pour observer si quelqu’un me suivait : il n’y avait personne. La rue s’enfonçait calmement vers les contrebas, à l’abri de l’ombre des immeubles. Deux fillettes surgirent en courant d’un autre passage perpendiculaire, s’avancèrent dans ma direction. L’une était en short et débardeur, l’autre qui la poursuivait, plus jeune et âgée de six ou sept ans, vêtue d’un pyjama blanc constellé des visages simiesques d’un

personnage de dessin animé ; elles me dépassèrent sans faire attention à ma présence. Plus loin, avant de tourner à gauche suivant la rue qui bifurquait, elles agitèrent leur main vers les étages supérieurs d’une maison.

 

Je m’avançai. Un visage souriant leur répondait. Au-dessus d’une lourde porte en bronze, sur un tapis volant d’un mètre sur deux qui formait un auvent, un Aladdin assis en tailleur tendait sa main gauche et sa lampe au visiteur en-dessous.

 

Je luttai encore quelques minutes dans les travées de pierre, puis enfin l’enchevêtrement de rues se dénoua, et je retrouvai le chemin de l’hôtel.

 

      -   Hendek les gros, faut qu’on bouge !

 

La chambre était plongée dans une pénombre poisseuse, les rideaux tirés laissaient passer quelque lumière mais on voyait surtout les têtes de mes amis blanchies par l’écran de leurs téléphones.

 

      -   Momo ! Important.


Il était allongé sur le lit du fond, mon lit, ses écouteurs aux oreilles. « Redouane ! Ali ! » dis-je en passant devant les

deux autres, qui étaient bien vite retournés à leurs écrans après mon entrée dans la pièce.

 

      -   Un mec chelou que j’ai croisé, expliquai-je à Mohammed. Il me demande ce que je fais ici, il voulait me proposer de passer au Châm*.

      -   Ah propre ! s’exclama Ali, qui avait tendu l’oreille. Il est fiable ?

      -   On prend pas de risque. On bouge direct. On va dans la ville d’après, celle dont on parlait au grec.

      -   Qu’est-ce qui te fait dire qu’il était chelou, kho ? dit Mohammed.

      -   Je sais pas, ça puait le traquenard.

      -   OK.

      -   Vas-y. On est parti les frérots !

 

J’expliquai rapidement la situation aux deux autres, qui protestèrent, mais nous étions déjà en train de fermer nos sacs. Quelques minutes plus tard, je leur proposai d’aller chercher un taxi pendant que nous réglions la chambre.

 

      -   C’est bon, ils en ont un, me dit Mohammed en lisant son téléphone.


Nous partîmes d’un pas pressé. Notre hôtel était situé sur une rue bordée d’arbustes aux pieds du village de pierre

que j’avais traversé tantôt, nous la descendîmes en courant, rattrapé peu à peu par la circulation et les éclats du bruyant boulevard Atatürk, sur lequel elle débouchait. Nous nous frayâmes en courant un chemin au milieu des camions, voitures, autobus, et klaxons, traversâmes la place. C’était une grande esplanade rectangulaire bordée par un palais de justice, un cinéma multiplex et une intense circulation. Une agitation étouffante accompagnait le soleil écrasant. Les gens, les voitures passaient, une circumambulation fatiguante. D’innombrables enseignes commerciales rouge, jaune, bleues, bardaient les immeubles alentour. La statue au centre de la place semblait nous encourager, elle avait entendu elle aussi le signal du départ. Sur un imposant socle de pierre, un cavalier domptait calmement son cheval cambré dans l’immobile, bras et main droits tendus derrière son épaule, vers le ciel, comme prêts à lancer ses troupes.

 

Nos amis nous attendaient à l’extérieur d’une Ford jaune, que nous embarquâmes avec précipitation. Ali et Redouane avaient déjà disposé leurs sacs dans le coffre, Mohammed et moi-même durent subir les nôtres sur nos genoux.


      -   Des news du mec ? demandai-je à Redouane, qui était assis près du chauffeur.

      -   Non, toujours rien.
 

 

      -   On en est sûr, de ton gars ? dit Ali.

      -   Il a un blaze, mon gars, répondit Redouane.

      -   Ouais, Mamadou. Il sort d’où, lui ?

      -   Tu vois, tu le connais.

 

Qui était cet homme qui m’avait percé à jour, près de la mosquée ? Pourquoi m’avait-il posé ces questions ? Etat-il un honnête passeur ou un policier turc ? Etait-il possible qu’il fût lié à Dawla ? Cela signifiait-il dire que tous ceux que nous croisions savaient que nous partions au djihâd ? La vitre de la portière tremblait et gênait le repos de ma tête. Dehors, le ciel se divisait entre une mosaïque de fragments blancs et une immensité bleue, séparés par une frontière exactement rectiligne. J’y vis une métaphore de mon Ancien et mon Nouveau mondes. Les bâtiments s’étaient tassé, nous avancions vers une place et un rond-point larges et pavés. Derrière, une colline se dressait, aride, rocheuse, hérissée de plantes éparses et sauvages qui rampaient jusqu’à un plateau occupé par un imposant fort de pierre, culminant à une cinquantaine de mètres. La citadelle de Gaziantep.


      -   C’est sûr qu’on passe par lui ? s’interrogea Ali. Dawla, ils ont des agents partout ici, c’est pas dur de trouver. Là on va se rapprocher de la frontière, encore pire. Moi, les mecs à qui j’avais parlé, ils me disaient on rejoint des

maisons ici, et après ils avaient traversé en groupe.

      -   Bah vas-y contacte si tu connais des gens, frère. Qu’est-ce que tu nous casses les couilles ?

      -   Moi je fais pas confiance comme ça, je prends pas de risque, je veux pas me retrouver au placard ici. Mamad’ c’est notre gars sûr, il a dit qu’il viendrait lui-même, on a juste à attendre.

      -   C’est clair, on rentre par un mec qu’on connaît directement, intervins-je. Sinon, le temps qu’ils vérifient nos identités, qu’ils nous interrogent, on y sera dans trois semaines.

 

Le trajet jusqu’à la gare routière dura vingt minutes. Nous n’avions décidé de rien, nous aviserions lorsque nous arriverions sains et sauf dans la prochaine ville. Le taxi glissa sous une arche à double entrée coincée entre deux boules de connifères et nous pénétrâmes l’enceinte de la gare routière. Une cinquantaine de mètres plus loin, le taxi s’arrêta devant l’entrée : cinq drapeaux, huit colonnes de marbre, un mur de vitres, un fronton rouge qui faisait penser à la porte d’entrée d’un temple japonais, un large écriteau blanc : Gaziantep Şehirlerarası Otobüs Terminali, (Terminal de la gare routière interurbaine de Gaziantep).


La foule était dense derrière l’enceinte vitrée de la gare, mais l’aménagement dépouillé du lieu facilitait l’orientation : la salle, une vaste grotte octogonale, assez majestueuse, était aussi creuse qu’un hall d’aéroport. Seuls quelques

pots et trois palmiers insoumis, au centre, encadrés de deux longs drapeaux turcs suspendus à l’horizontale, égayaient les lieux. Sous la coupole, une large entaille décollait la voûte et permettait à la lumière du jour de pénétrer ; le reflet morcelé des vitres frappait le carrelage vingt mètres plus bas, strié de l’ombre du faux-plafond de pylônes rouges qui portait la structure. Les compagnies d’autocar avaient installé leurs guichets sur les côtés de la salle, entre les sorties vers les terminaux. Ne souhaitant pas éveiller la suspicion d’un fonctionnaire en lui demandant conseil, nous choisîmes arbitrairement la Metro, une des compagnies les plus connues. Après une longue file d’attente, Mohammed se présenta seul devant le comptoir.

 

      -   Merhaba. Four tickets to Akçakale, please.

 

Mon sang s’arrêta.

 

Le vendeur se pencha vers sa vitre.

 

      -   Akçakale ?

      -   Oui, quatre billets pour Akçakale, s'il vous plaît.
      -   Gros t’es sérieux ? sifflai-je, en sueur.

Mohammed se retourna vers moi.

 

      -   Quoi ?

      -   Sanliurfa putain, la con de ta race, chuchotai-je en postillonant.

 

Ce débile venait de donner le nom d’une ville à cinquante kilomètres au sud de Sanliurfa, notre destination. Akçakale. Une ville de cent mille habitants près de la frontière, sur la frontière : la ville-porte par laquelle on entrait au Châm. Cela revenait à inscrire « Dawla » sur des bouts en carton pour faire de l’auto-stop en plein jour.

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"Maison de l'Islam". Désigne traditionnellement un territoire sur lequel prévaut la loi islamique. Des interprétations élargissent le concept aux territoires à population majoritairement musulmane. Pour plus d'infos →

NB : Daech publie un magazine francophone nommé "Dar al-Islam"

DAR AL-ISLAM

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ADHAN

CHÂM

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(Bilad al-Châm) Grande Syrie, région antique qui recouvre les États de Syrie, du Liban, d'Israël, de Jordanie, de la Palestine, certaines parties de l'Irak, le Sinaï et la province de Hatay en Turquie.